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Marianne - Tribune collective du 21/04/2021



 

Pour l'essayiste Patrick Scheyder et ses coauteurs, l'écologie n'est pas seulement une science, elle est aussi culturelle. Elle ne pourra s'imposer qu'en travaillant les imaginaires.

 

À l’heure où la crise sanitaire secoue le monde culturel, les cinémas et le spectacle vivant sont en berne. Mais aussi notre culture politique : les convulsions droite-gauche, l’écologie éreintée par la loi Climat, l’économie en survie… Cet éparpillement d’urgences a une souche commune : notre culture.

Car la culture n’est pas que spectacles ou divertissements. C’est aussi un socle de valeurs qui forment la société. À ce titre, l’écologie, comme la politique, sont deux thèmes hautement culturels : ils nous forment, ils nous relient, et tous deux exigent de l’imagination.


NOUVEAUX IMAGINAIRES


La République est aussi une culture. Ses droits et ses devoirs ne sont pas qu’une froide succession de lois. Il a fallu en son temps imaginer une République pour la faire, être créatif. Une institution s’accompagne toujours d’un imaginaire fertile. Cet imaginaire est tout un programme qui promet une vie meilleure : il rencontre alors l’aspiration des citoyens et les embarque.

L’imaginaire révolutionnaire français se synthétise en trois mots : Liberté-Égalité-Fraternité. Comment définir l’imaginaire écologique ? Nature-Respect-Amour ? Équité-Diversité-Liberté ? L’imaginaire écologique n’est cependant pas qu’écologique. Quand la jeunesse manifeste pour le climat, elle manifeste aussi pour le droit à rêver, pour le droit à vivre, à travailler. Car comment construire « le monde d’après » sans désir ni espérances. Ou sans l’imaginer ? De ces rêves, il reste toujours quelque chose.

« En rêvant, ils forgent un nouvel outil culturel qui voudrait entraîner la société »

Au niveau politique, les « nouveaux imaginaires » du XXIe siècle sont le premier étage créatif de la fusée sociale de demain. Les jeunes doivent donc être entendus dans leurs demandes. Notre présent et notre avenir en dépendent. En rêvant, ils forgent un nouvel outil culturel, qui voudrait entraîner la société. Cet outil est à la fois politique et social.


LA THÉORIE DU FOSSÉ


Or les discours actuels – anti-écolo comme écolo – ne forment pas société. On en est désolés. Chacun a intérêt à se distinguer, pour rassembler de son côté. C’est la théorie du fossé, mise en scène par des jeux de rôles. Les libéraux contre les grands cœurs, l’économie contre l’humanisme, Robin des Bois contre les bûcherons, etc.

Expliquer la vie par l’économie et la gestion, c’est souvent manquer de perspectives. La promesse économique se résume souvent à une formule : continuer comme avant. L’activisme écolo connaît lui aussi ses limites. C’est bien une tactique, mais nullement une politique. Sauver la planète n’est d’ailleurs pas un projet politique, mais le sujet capital du moment. Reste à prouver que du sujet puisse découler une politique qui génère une culture.

« Tous ou presque, dans la culture occidentale, prêchent l’équilibre entre le besoin humain et les ressources terrestres »

La responsabilité est toujours partagée dans la qualité ou de la dégradation d’un débat, et la loi Climat n’y fait pas exception. L’enjeu est écologique, politique et culturel. Or, les deux premiers leviers sont activés et font débat, mais le troisième levier est laissé vacant. Et ceci des deux côtés. Nous pensons que pour rassembler une société, il ne faudra pas que légiférer ou manifester. Il faudra convaincre, et à ce jeu, la politique politicienne semble impuissante. La dimension culturelle de l’écologie est peu relevée mais elle est pourtant fondamentale.



ÉCOLOGIE CULTURELLE



Présenter l’écologie comme une nouveauté, c’est une triple erreur. Une erreur scientifique, historique et psychologique. Scientifique d’abord, car l’écologie est l’économie du vivant et de ses interrelations. On n’a pas attendu le libéralisme ou l’écologie politique pour que la vie émerge sur terre. Historique ensuite : les textes abondent sur la nécessité de préserver les écosystèmes, de l’Antiquité à nos jours. Aristote, Platon, Montaigne, La Fontaine, Rousseau, Sand, Hugo, avant Hulot ou Greta Thunberg.


Tous ou presque, dans la culture occidentale, prêchent l’équilibre entre le besoin humain et les ressources terrestres. C’est bien souvent avec les mêmes mots que nos jeunes. On ne le sait pas, car on ne nous le dit pas. Lisons, éduquons, faisons alors un vrai travail d’éducation populaire sur l’écologie. Enfin, la troisième erreur est l’erreur psychologique : la nouveauté s’apprécie pour le look d’un vêtement, d’une voiture ou d’une coiffure. Mais qui aime voir sa vie bouleversée ? En fait, la nouveauté, on la redoute. C’est tout à la fois la perte des acquis, la remise en cause, et la plongée dans l’inconnu.


UNE NÉCESSITÉ RÉPUBLICAINE


Faire émerger l’écologie culturelle comme partie intégrante de notre civilisation, c’est dépasser les sarcasmes et les jurons. On trouvera aussi dans l’histoire quelques contre-exemples, mais tant mieux. N’est-ce pas le rôle d’une démocratie que de débattre de sa culture et de ses racines ? Avancer sans débat, ou adhérer par croyance, n’est en rien républicain.


« L’écologie, qui est la science du vivant, ne doit pas s’abstenir d’avoir une mémoire »

Ce qui fait société, ce qui rassemble dans une République ou ailleurs, ce sont aussi des constantes. Des antécédents, des filiations qui valident l’action présente, et encouragent le futur. La France contemporaine s’est fondée sur un récit national et international, tissé au fil des siècles. Il faut maintenant y ajouter le fil de l’écologie car il y a toute sa place, culturelle, politique et sociale.


L’écologie, qui est la science du vivant, ne doit pas s’abstenir d’avoir une mémoire. Qu’elle la fasse valoir pour enrichir le débat, et tracer un pont au-dessus des fossés.



Auteur :

Patrick Scheyder, auteur de Pour une pensée écologique positive (Belin)


Cosignataires :

Allain Bougrain Dubourg, président de la LPO (Ligue de protection des oiseaux)

Sébastien Folin, producteur, président d’honneur du festival Atmosphères

Jonathan Attias, utopiste, auteur de La Désobéissance Fertile (Payot)

Pierre Gilbert, auteur, expert climat à l’institut Rousseau

Quentin Jagorel, haut fonctionnaire, élu local, réalisateur


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