
À se convaincre que l’on peut tout contrôler, on ne prend pas les bonnes décisions en matière climatique.
Ce biais désigne notre tendance à sous-estimer l’importance des facteurs externes et à surestimer l’importance des facteurs internes, à n’expliquer une situation donnée que par des causes sur lesquelles on possède un levier d’action.
Le cerveau humain déteste de fait le sentiment de ne pas maîtriser une situation. Dès lors, nous dépensons une énergie considérable à nous rassurer sur nos capacités à agir, à nous conforter dans le déni lorsqu’on ne peut pas. Cela nous empêche d’agir efficacement pour la planète, entre autres.
Dans la nature, ne pas contrôler une situation pouvait signifier la mort. Ainsi, le sentiment d’impuissance dans une situation donnée provoque une contraction du cortex cingulaire antérieur (siège de la logique, du sens), ce qui entraîne une libération de cortisol – l’hormone du stress – par l’hypothalamus. Dès lors, nous nous préparons à fuir ou combattre, et moins de sang irrigue les parties sollicitées pour la réflexion rationnelle.
Lorsque vous vous sentez impuissant, vous risquez de paniquer et d’agir sans discernement, ou bien de vous jeter dans les bras de qui vous proposera une solution pour retrouver de la maîtrise.
Notre culture est façonnée par une volonté de maîtriser le plus possible les variables naturelles. En anthropologie, on observe que c’est encore plus vrai pour les civilisations sédentaires agricoles. De fait, pour les chasseurs-cueilleurs nomades, le déplacement est une solution qui permet d’avoir un sentiment de contrôle en cas de problème.
Par extension, les Romains – agriculteurs méditerranéens connaissant mal les milieux forestiers – ont apporté une culture de la déforestation par souci de maîtrise de l’environnement aux Celtes et aux Germains, beaucoup plus liés aux forêts. Plus tard, Descartes écrira que l’Homme doit se rendre maître et possesseur de la nature.
Avec le pétrole, nous avons décuplé notre puissance de maîtrise des variables naturelles comme jamais auparavant. Un litre de pétrole contient autant d’énergie que 10 ouvriers du bâtiment qui travaillent une journée entière.
Dès lors, nos machines ont pu façonner un monde où l’adversité naturelle a été presque entièrement canalisée. En cas de parasites agricoles, nous avons l’agro-industrie dont les pesticides viennent du pétrole, en cas d’incendies nous avons les canadairs, en cas de crues, les pelleteuses, nous avons des digues, etc. Ce sentiment de toute-puissance basée sur l’abondance énergétique nous rend le biais d’illusion de contrôle encore plus fort.
Le changement climatique nous impacte par des effets que nous pouvons de moins en moins contrôler : on ne
peut pas contrôler des inondations, des sécheresses, la montée des eaux… Dès lors, nos dirigeants, dont on attend qu’ils nous rassurent, préfèrent le déni et l’inaction au fait d’assumer l’impuissance et donc de travailler d’urgence à l’adaptation au changement climatique, à la résilience.
Surtout, ils sont plus vulnérables aux discours des partisans de la géo-ingénierie, qui promettent des solutions technologiques – illusoires - pour maîtriser l’ensemble des
variables naturelles – contrôle des pluies, de l’ensoleillement, de la captation du CO2… On risque encore ici de perdre beaucoup de temps.
Face à une situation, tant politique que personnelle, il faut bien séparer ce sur quoi l’on peut avoir une maîtrise et le reste qui ne dépend pas de nous. Il faut alors se concentrer uniquement sur ce qu’on maîtrise, en toute humilité.
Cet exercice nécessite de dominer le biais d’illusion de contrôle, mais il améliore grandement la vie. Lorsqu’on se met sur le dos des responsabilités supplémentaires qui ne dépendent pas de nous, il est difficile d’être heureux, et d’être pragmatique dans ses choix.
Pierre Gilbert